J’ai testé le 12mm de 7 Artisans
Nous vivons une époque parfois difficile par bien des aspects mais aussi riche de créativité, en particulier dans l’émergence de nouveaux venus sur le marché du matériel photographique et la pratique de plus en plus répandue du « hacking » de matos.
Depuis quelques mois, les objectifs low cost de 7 Artisans, fabricant chinois, provoquent de nombreux débats sur les forums et font l’objet de tests et prises en mains sur le web anglophone. Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à que quelques publicités pour les géants du matos photo new-yorkais ne me fassent découvrir les Mitakon Zhongyi Speedmaster, les 7 Artisans et autres cailloux exotiques.
Ce dernier a commencé par proposer un fisheye (7,5 mm) et des 25 ou 35 mm à grande ouverture, puis a annoncé pour 2018 quelques nouvelles focales, dont un 12 mm, objectif dont je cherchais justement à m’équiper. Comme il faut savoir prendre des risques dans la vie, et qu’à 169 € livraison comprise, le risque est « relativement » mesuré, me voilà donc avec cet objectif entre les mains, vissé à mon XPro2.
Alors, ce 12 mm à moins de 200 € peut-il concurrencer les grand-angles de Fuji ou de Zeiss qui coûtent plus de quatre fois plus cher ?
(Spoiler : non)
Une longueur focale difficile
Quand on cherche à acquérir un ultra grand-angle pour le système Fuji, il faut souvent se préparer à débourser une somme conséquente pour s’équiper. Ces focales, entre 16mm et 35 mm en équivalence full-frame, sont souvent utiles, voire indispensable, en reportage, en street ou en photographie de paysage et certains photographes se sont même fait une spécialité de n’utiliser que cela (avec succès).
Du temps de l’argentique, mis à part les fish-eyes, elles étaient rares, les plus grand-angles frôlant au minimum les 20mm ou 21 mm dans les années 1970, principalement à cause de difficultés de réalisation (formules optiques). Il a fallu attendre le milieu des années 90 pour avoir des zooms de type 18-35 ou 17-40 mm. Avec un format numérique APS-C, au capteur plus petit, c’est encore pire, mais les fabricants ont vite proposé des 10-20 mm et tout l’éventail intermédiaire en focales fixes. S’ils sont facilement trouvables pour les reflex (grâce aux fabricants alternatifs), c’était plus compliqué pour les systèmes hybrides.
Et puis, les Samyang / Rokinon sont arrivés : en monture X, Sony ou 4/3, ils ont créé une niche, profitant des performances technologiques de mise au point manuelle de ces derniers systèmes. En effet, sans autofocus, sans contact électrique, ils sont bien moins chers à fabriquer … et donc à acquérir. Si le 12mm de Samyang est déjà une sacrée bonne affaire à moins de 350 €, on divise ce coût par deux en ce qui concerne le 7 Artisans.
Commandé le 24 juin, avec une livraison estimée entre le 23 juillet et le 13 août, il est finalement arrivé le 7 juillet : même si cela en dit long sur la difficulté des livraisons internationales, la surprise est plutôt bonne pour l’acheteur, et c’est un premier bon point.
A l’ouverture du carton d’expédition, on découvre l’objectif dans sa boîte qui est joliment fabriquée et n’est pas sans rappeler les boîtes Fuji, et on se demande combien d’années on a passé dans le coma sans se rendre compte que « Fabriqué en Chine » n’avait, décidemment, plus du tout la même signification qu’avant. L’emballage est magnifique, la qualité de fabrication de l’objectif aussi. Tout en métal noir, discret, avec un poids rassurant sans être handicapant, le premier contact avec la bête est surprenant et rassurant.
Monté en un instant sur mon XPro2, et c’est parti pour faire plus ample connaissance. Première surprise : le bouchon d’objectif est modelé en creux du pare-soleil qui, lui, est construit dans le fût de l’objectif et ne peux donc s’en séparer : je n’avais jamais vu cela ! C’est une solution de fabrication étonnante, mais pas inintéressante. La lentille frontale, particulièrement bombée, ressort de l’objectif, et cette solution est peut-être, aussi, une manière de la protéger en cas de téléscopage avec tout autre corps solide (hypothèse peut-être complètement farfelue de ma part).
Autre surprise : la bague de diaphragme n’est pas crantée, et on glisse donc en continu de 2.8 à 16, de manière fluide mais ferme. L’écart de diaphs est faible, mais, à l’usage, suffisant. On imagine toutefois les difficultés que pourraient poser l’envie de filtres neutres sur un tel objectif pour compenser cette faible amplitude d’ouvertures : entre le pare-soleil « en dur » et la lentille bombée, je ne suis même pas sûr que cela soit possible, à moins d’utiliser des systèmes de filtres de chambre grand format.
La bague de mise au point est ferme, peut-être trop au goût de certains, avec une amplitude raisonnable. La mise au point minimum se fait à 20 cm, comme les concurrents.
Et côté images ?
Les premières images réalisées avec un nouvel objectif ne sont jamais des images exceptionnelles, et il faut un peu de temps pour apprivoiser le joujou et le pousser un peu dans ses retranchements. Ceci explique souvent que les images des tests donnent souvent l’impression d’avoir été réalisées par des mauvais photographes (quand le sujet n’est tout simplement pas une mire), et on a tendance à oublier que le but est quand même de faire des images.
Shooter un peu tout et n’importe quoi, pourtant, est souvent la meilleure solution pour faire émerger des problèmes qu’on n’aurait pas soupçonné. Dans le cas de ce 12mm, par exemple, c’est une forte sensibilité au flare (en particulier en cas de source de lumière proche du champ photographié). On aurait pu s’en douter, à ce prix-là, il faut croire au Père Noël pour imaginer qu’on va pouvoir taper dans la catégorie des Fuji, Leica et autre Zeiss.
Si les images sont nettes, les détails sont imprécis à 100%, malgré un travail de post-production, en particulier dans les feuillages ; c’est un peu l’impression que m’avait laissé le zoom XC 16-50 mm de Fuji livré en kit avec le XT-20. Les images sont nettes, mais ne sont pas piquées, avec même des défauts en cas de lumières particulières (voir photo du cochon à 100%).
Même si on ne regarde jamais une photo à 100 %, l’impression dégagée à l’écran est celle d’un manque de définition et de netteté, que l’on peut parfois rattraper un peu en traitement. Les flous d’arrière-plan sont plutôt agréables. Avec un réglage sur l’hyperfocale, la profondeur de champ importante à partir de f/8 permettra une pratique de la photo de rue sans se soucier de mise au point précise.
Notons que Lightroom, avec lequel je traite mes RAWs, ne dispose pas pour l’instant des profils de correction des objectifs de 7 Artisans, mais je suppose que cela ne saurait tarder.
Alors : l’acheter ou pas ?
La réponse à cette question va dépendre de l’usage que vous souhaitez en faire. Pour de la photographie de reportage, de rue ou pour une pratique d’amateur, c’est sans souci : il fait le job, à un tarif plus qu’abordable (moitié moins cher que le zoom XC 16-50 mm livré en kit avec certains appareils Fuji). Selon le traitement appliqué à ses images, ses défauts passeront même inaperçus.
Pour de la photographie d’architecture ou de paysage professionnelle, je serais plus prudent : on attend parfois de ce genre d’images une impression de piqué « allemand », donné par les objectifs Leica, Zeiss, ou Schneider-Kreuznach, et là clairement, on est très en dessous (encore une fois, rien d’étonnant à ce tarif). Mais, au risque de me répéter, cela va dépendre du style d’images produit et de l’utilisation des photographies : alors ses défauts ne devraient pas vous poser de problème et le (faible) investissement s’avérer une très bonne affaire.
Edit : pour ajouter des filtres à cet objectif, 7 Artisans commercialise un petit accessoire qui permet de positionner un filtre à l’avant de la lentille frontale.