Salt et Ismaël, un an à Reillanne
Ils étaient près d’une centaine ce samedi 18 mars à avoir répondu à l’invitation d’Ismaël et Salt. Pour fêter leur arrivée il y a un an à Reillanne, les deux garçons avaient organisé un repas dans la salle des fêtes. Près d’une centaine de bénévoles, d’élus et d’amis étaient présents pour partager une soirée et la satisfaction d’une réussite exemplaire. L’occasion aussi de faire un bilan, l’arrivée de réfugiés restant un sujet clivant dans une campagne électorale particulière.
A l’origine il y a une révolte. Face à des images de détresse humaine dans l’actualité, quelques personnes se réunissent avec l’envie et le besoin d’organiser un accueil d’urgence pour des réfugiés. Quatre mois de réflexions et de partage avec une équipe municipale nouvelle et c’est l’arrivée soudaine de Salt et Ismaël. « On n’étaient pas spécialement prêts », nous dit Marie, l’une des tutrices des deux frères. Les garçons, mineurs, arrivent de Marseille. Ils sont d’abord hébergés dans la chambre qu’Antoine met à leur disposition au-dessus de son café. La mairie entre en jeu, et une toute petite partie du presbytère, inoccupé, est transformée en logement, par le biais d’un chantier participatif. Plus de 70 personnes s’investissent, en apportant coups de mains, matériels, meubles, repas pour venir en aide aux jeunes hommes. Un bénévolat important, pas toujours facile à gérer et à organiser. Murielle, l’autre tutrice, explique qu’il n’y eu création d’aucune structure ou association, de manière à permettre à chacun d’apporter ce qu’il souhaite sans contrainte. Marie complète en expliquant qu’il a fallu, aussi, se préserver, face à cet afflux d’énergies humaines très diverses.
L’aide sociale à l’enfance est là, aussi, puisque les deux frères n’ont pas 17 ans à leur arrivée. Un changement de la législation permet la signature d’un contrat entre l’ASE, les familles d’accueil et les deux garçons. Ce qui a semblé être des difficultés insurmontables, s’avèrent, avec le recul, n’être que des péripéties dans l’aventure. Comme nous l’explique Claire Dufour, maire de Reillanne : « Tout s’est fait tellement simplement et naturellement ». Les quelques oppositions d’il y a un an ont fini par se transformer en bienveillance. Grâce, probablement, à cet élan collectif de générosités individuelles. « Les gens sont étonnants » nous dit doucement Murielle en souriant. Un beau projet porté par le monde civil et associatif, soutenu par une équipe municipale pour laquelle cette aide, fournie sous la forme de temps de travail et de matériels, était une évidence. « Cela correspond aux valeurs et à une tradition d’accueil très ancrée à Reillanne, même si on a un peu une réputation d’être un village de hippies » s’amuse Claire Dufour.
Aujourd’hui, le logement d’Ismaël et Salt est devenu le point central des regroupements des adolescents du village : chacun vient apporter soutien scolaire, activités, discussions et amitié. Les deux frères rayonnent dans la salle des fêtes ce samedi soir : ils ont projeté un film tourné au café du Cours, puis un diaporama racontant leur première année à Reillanne. Les garçons tristes et timides du début se sont transformés en adolescents semblables aux autres, très intégrés au sein du groupe soudé des jeunes de Reillanne. Leurs sourires d’aujourd’hui sont la juste récompense de ces mois de travail pour tous ces bénévoles. « Si chaque village de haute Provence pouvait accueillir deux réfugiés, il n’y aurait plus de ‘problème de migrants’ », soupire Murielle. A voir l’extraordinaire émotion partagée ce samedi soir, le jeu en vaut la chandelle.
A les voir sac au dos de retour du lycée, on a peine à imaginer ce qu’a été leur parcours. Et pourtant, il y a encore quelques mois, c’était le chaos. Côte d’Ivoire, Niger, Libye : une traversée de l’Afrique à sens unique, puisque, malgré les découragements, il n’existe pas de moyen de faire demi-tour. L’attente interminable et la prison en Libye. Puis la traversée, racontée pudiquement, mais que l’on peine à imaginer, entassés sur un bateau. Le bateau des secours aux migrants, l’Italie, puis l’arrivée à Marseille, où ils passent quelques semaines, avant d’être emmenés finalement à Reillanne. Pas vraiment un voyage facile quand on n’a que quinze ans. Aujourd’hui, ils ont « retrouvé une famille » à Reillanne, dit Ismaël. Une peu moins prolixe que son frère, mais d’un caractère plus décidé, il est inscrit en CAP de cuisine à Manosque. C’est lui qui a convaincu son frère de partir. Lui aussi qui a refusé de faire demi-tour quand le découragement les guettait en Libye.
Salt, lui, est en première. Ils bénéficient de soutien scolaire, en langue notamment, puisque « (ils) ne parlent pas le même français », comme le dit Salt. Il aimerait faire du droit, après. En attendant, il prend le temps d’écrire un livre qui raconte leur histoire.
Les deux garçons sont aujourd’hui parfaitement intégrés dans la petite ville. Les regards baissés et paroles timides du début ont fait place à une timidité normale d’adolescent. Leur gentillesse, leurs sourires et leur bonne humeur ont achevé de convaincre les réticents, juste retour de la bienveillance qu’ils ont reçu depuis des mois. A Reillanne, comme une source qui ne se tarit pas, il en reste encore en réserve pour accueillir de nouveaux réfugiés.
Article publié dans La Provence, 22 mars 2017